Dans une première longue partie de réunion, nous avons pu échanger à partir des textes de la plaquette que nous vous livrons ci-dessous.
De
l’ambition pour l’École
L'école
forme, certes… mais à quoi ?
Former
des travailleurs compétents sur un marché de l’emploi
concurrentiel ? Orienter une minorité de jeunes vers les « pôles
d’excellence », et les autres vers les petits boulots précaires
d’exécution ? Est-ce ainsi que les hommes et les femmes
s’humanisent ?
La
visée d'employabilité, adossée au « tout économique » qui est
assigné à l'école, rend aveugle sur la fonction essentielle du
savoir, qui est l’émancipation. L’école doit permettre une
appropriation du patrimoine culturel de l’humanité qu'il s'agisse
des œuvres humanistes, scientifiques, techniques, artistiques, qui
nous affilient à toute l’histoire humaine et par lesquelles se
découvre et s’enrichit la personnalité. L’école doit viser une
socialisation élargie qui porte l’élève au-delà de ses
premières attaches : familiales, sociales, culturelles. L’école
doit développer une aptitude au travail collectif : comprendre et
gérer aussi bien le conflit que la coopération. L’école doit
cultiver une conscience critique : apprendre à problématiser et à
hiérarchiser les informations reçues et, ainsi, à se forger un
esprit critique et des convictions réfléchies. Autant
d'apprentissages qui participent d'une citoyenneté agissante,
indispensable pour actualiser et dynamiser la démocratie.
Le
parti pris du « Tous capables » prend tout son sens dans le fait de
prendre en compte, dans l'acte d'apprentissage, les potentialités
immenses de chaque enfant pour qu'elles deviennent capacités
effectives.
Quand
l'individualisation sert l'exclusion
Aujourd’hui,
l'individualisation s’affirme comme la seule réponse à l’échec
scolaire : il faudrait, dit-on, adapter la scolarité aux « besoins
» de chaque enfant en fonction de ses « talents », de ses «
goûts » de ses « intérêts ».
Mais
les différences entre les élèves ne sont pas naturelles, elles
sont culturelles, construites socialement. Alors que certains enfants
sont, dès leur entrée à l’école maternelle, en connivence avec
la culture scolaire, d'autres, issus des milieux populaires,
rencontrent des pratiques si éloignées de leurs pratiques
familiales qu’ils les ressentent comme étrangères, voire
disqualifiantes et violentes. Ignorer cela revient à légitimer les
orientations précoces ou à penser l’échec sur le mode de
l’anormalité psychologique. Ce déni du social amène ainsi à
systématiser les aides personnalisées, qui ne font que répéter
les mécanismes d’exclusion, à prôner médicalisation ou
psychologisation normatives. Au bout du compte, l’enfant est
doublement culpabilisé : « élève en difficultés » et « élève
dys... » voire « anormal ». L’individualisation, telle qu’elle
est pensée, ne fait finalement que renforcer les logiques
ségrégatives.
Contre
cette naturalisation des difficultés scolaires, nous réaffirmons
ici la nécessité d’une haute exigence pour tous, dans
l’affirmation de la capacité de chaque élève à apprendre, à se
transformer en se dépassant.
Retrouver
la saveur des savoirs pour redonner sens à apprendre
Une
idée très répandue considère la transmission comme une opération
de simple transfert de connaissances. Dans une telle conception
cumulative des savoirs et mécaniste de l'apprentissage, l'inégalité
reste une fatalité : quelques-uns seraient « naturellement » aptes
à recevoir le plus, tandis que la grande majorité devrait se
contenter d'un minimum faussement garanti.
Contre
cette vision linéaire et appauvrissante du savoir comme « produit à stocker
», nous soutenons l'idée d'un savoir qui se construit dans un
processus de transformation. Les incompréhensions que rencontre
l'élève dans son apprentissage ont à voir avec des problèmes
auxquels s'est heurtée l'humanité au long de son histoire. Le
théorème de Thalès, la circulation sanguine, la tectonique des
plaques, la création poétique, l'exploration de l'histoire, l'usage
d'une langue étrangère… autant d'énigmes, de questions à se
poser, de problèmes à résoudre. Il s'agit de faire vivre à
chacun(e), en interaction avec les autres, des situations stimulant
inventivité et rigueur de pensée.
C’est
dans une telle communauté de recherche et d’élaboration que se
construisent tant les savoirs que la personnalité de chacun.
Moins
tenir sa classe que « faire classe »
«
Les élèves
désobéissent… ne travaillent pas... veulent savoir sans faire
l'effort d'apprendre... se comportent comme des sauvages »
: qui n’a jamais
entendu ces plaintes ? La souffrance est
partout : chez les
élèves, chez les enseignants,
chez les parents, au
point d’imaginer qu’une
répression sans
faille serait la solution.
Mais toute
répression est régression, faute
d’interroger les
causes du mal.
Aucun
autoritarisme, aucune violence, aucune menace n'engagera jamais un
élève dans un processus d'apprentissage réel. Un renversement
pédagogique est indispensable si l’on veut éveiller la curiosité,
reprendre pouvoir sur le désir d’apprendre, faire partager la joie
de comprendre et d'interroger le monde. La pédagogie est invention
permanente de situations adaptées, de défis sollicitant
l'intelligence, visant à enclencher une dynamique d'élaboration
collective.
Pratique
d' « auto-socio-construction du savoir » conçue, mise en œuvre,
théorisée dans l'éducation nouvelle.
La
formation, clef du changement
Triste
sort que celui fait à la formation, d’un « haut niveau »
académique sacrifiant la professionnalité dans un déni consommé
de la pédagogie : symptôme d’un renoncement à la démocratisation
et à la formation intellectuelle des futurs citoyens ?
Une
formation des enseignants est plus que jamais nécessaire, si tant
est que l’on se soucie encore de démocratie, c’est-à-dire de la
formation d'un peuple souverain. Il est urgent d’encourager une
conception solidaire de la pratique professionnelle, le travail
d'équipe, que ce soit pour élaborer des situations d'apprentissage,
échanger sur les gestes professionnels (faire classe, s'ajuster à
l'inattendu, théoriser les démarches), ou encore pour inscrire
l'action éducative dans une stratégie qui mobilise l'ensemble des
acteurs (élèves, personnels, parents, collectivités locales ...).
Tous,
élèves comme enseignants, sont capables... à condition de leur en
fournir les moyens.